Impossible

Erri De Luca

Gallimard

  • Conseillé par (Libraire)
    1 septembre 2020

    (...) On connaît la passion d’Erri de Luca pour la montagne. Ici, elle joue un rôle au service de la narration, la comparution d‘un homme qui appartient à "la génération la plus poursuivie de l’histoire de l’Italie" devant un jeune magistrat qui "ignore tout de nos années révolutionnaires". Pour le juge, il est évident que le premier connaissait la présence du second dans la vire et qu’il s’y est rendu pour se venger en le poussant dans le précipice.
    Alors que l’accusation est plausible, l’interrogatoire qu subit le vieil homme va peu à peu se retourner. Toute la tension du roman réside dans ce retournement, ce changement de bord de la force. C’est le prévenu qui, ne dérogeant à aucune de ses valeurs, accule le juge à le remettre en liberté parce qu’il ne peut apporter les preuves du crime. Il aura pourtant tout essayé : attaques franches, persuasion, flatterie, rouerie, fausse annonce. L’interrogatoire se transforme en dialogue, l’accusé exposant ses idées sur l’État, la justice, l’amitié, la trahison, la fidélité et la montagne. Il amène le juge à prendre en considération ses arguments, et même à apprendre à son contact. Dans la cellule où il tient à être isolé, il écrit à une amoureuse inconnue des lettres d’amour dans lesquelles il explique sa passion pour la montagne, dans de très belles phrases. On ne saura rien de plus d’elle, si cette lointaine amoureuse existe où si le prisonnier se parle à lui-même pour supporter la vie dans sa cellule et lui donner un sens.
    Les deux personnages de ce huit-clos sont d’une égale qualité, le juge n’est pas imbu de sa position et le prévenu n’est pas diminué par l’accusation et la garde à vue, ce qui donne beaucoup d’allure à l’échange verbal.
    L’écriture est superbe. Le déroulé du texte a une rigueur et un rythme qui s’accordent bien avec ceux d’une course en montagne et avec l’alpiniste qui "suit la terre jusqu’à cet endroit où elle s’est élevée et continue de s’élever. Car les montagnes grandissent".
    Une fois de plus, Erri de Luca nous livre un roman sublime, dense et d’une grande richesse.


  • Conseillé par
    15 avril 2021

    Un récit tendu comme une corde

    Ce roman très théâtral est une belle façon de faire résonner les "Années de plomb". Un homme dans le bureau d'un juge, accusé d'avoir poussé dans le vide son dénonciateur. On devine qu'il est anarchiste, qu'il a lutté dans un mouvement d'extrême-gauche quarante ans auparavant. Mais aucun nom, aucun fait précis n'est cité : ce livre est une épure, un affrontement presque mythique entre deux forces, entre deux idées de la justice et de la morale.
    De temps à autre, les chapitres d'interrogatoire laissent place aux lettres à son amoureuse, écrites depuis la cellule : comme un écho bienvenu à l'immense littérature de prison qui a vu fleurir des chefs-d’œuvre.
    Il y a quelque chose de l'alpinisme dans ce récit : par son thème bien sûr, mais aussi par la progression méthodique et implacable du prévenu, rompu au maniement des idées. A ses côtés sur la paroi, nous n'avons pas peur. Nous le voyons avec délice défaire pied à pied l'adversaire, ce jeune juge deux fois plus jeune que lui. Un bel éloge paradoxal de l'âge : " Moi j'ai plus de temps que vous". Eh oui, vieillir, au fond, c'est accumuler du temps.
    170 pages tendues. Bien sûr on ne dira rien du dénouement, tout en chausse-trappes...

    Frédéric