Conseils de lecture

Conseillé par (Libraire)
14 septembre 2016

Grandiose

Le roman de Luc Lang se présente comme une trilogie.
La famille de Thomas vit à Saint-Mandé et ce soir, une fois de plus, son épouse Camille délaisse la famille et reste au Havre où elle travaille sur un gros dossier dans une société de téléphonie-informatique. Dans la nuit, la gendarmerie réveille Thomas pour lui apprendre que Camille est hospitalisée, gravement atteinte lors d'un accident sur une petite route en Normandie.
C'est le début de l'effondrement de la vie qu'il s'est construit, une vie de concepteur dans une société fabriquant des logiciels permettant de tracer des personnes, de mesurer leur travail et leurs pauses inactives et improductives. C'est une vie réussie selon les critères contemporains : une épouse jolie et intelligente exerçant un bon métier, des enfants -garçon et fille, une belle maison, des belles voitures, des amis, les moyens de voyager. Dès l'accident de Camille, la vie de Thomas est moins facile et stable. Il faut s'occuper de tout le quotidien, prévoir, être présent aux enfants, visiter son épouse à l'hôpital. Savoir ce qu'elle pourquoi elle se trouvait sur cette route à cette heure alors qu'elle devait dormir chez un collègue de travail est un sujet de grave préoccupation. Il doit aussi être performant au travail. Quand on a un patron pas très sentimental, intéressé uniquement par "faire de l'argent", on voit comment tout ceci peut se terminer...

Quand le livre 2 commence, on comprend que Camille est décédée et que Thomas a perdu son emploi. Il se trouve dans les Pyrénées, à Lescun où son frère Jean a repris l'élevage de son père. Thomas a décidé de faire une randonnée. Sans écouter les conseils des locaux, il emprunte, par mauvais temps, le périlleux passage d'Orteig où il manque de chuter et perd son sac. Ses pensées le mènent vers les débuts de sa randonnée, vers sa famille, vers ce qui le taraude, vers ses doutes, ce qu'il connaît mal de sa propre histoire.
Plus tard, dans le livre 3, il est parti au Cameroun retrouver sa sœur Pauline qui est médecin humanitaire. Depuis qu'elle y est installée, Thomas n'a pas correspondu avec elle. Il découvre son engagement, la pauvreté, la corruption, la prison, le danger que représente la proximité des islamistes, l'instabilité politique, le jeu des apparences. Un choc, une remise en cause totale.

Dans le livre 3, les Pyrénées sont présentées comme un lieu puissant, résistant, capable de colère et de pousser l'homme à penser, à réfléchir, à chercher une solution à ses tracas. Il y a une confrontation entre Thomas et la montagne. Dans ces paysages superbement décrits , on commence à deviner, puis on découvre le secret de cette famille. Pourquoi Jean n'a pas suivi le chemin que lui ouvrait sa formation professionnelle ? Qu'a fui Pauline en partant au Cameroun ? Pourquoi n'est-elle restée en relation qu'avec Jean ? Que s'est-il passé avec Aurèle, le père, et comment est-il mort ? Comment, pourquoi et de quoi Jean et Pauline protègent leur frère ? C'est auprès de Pauline que Thomas, libéré de ce secret qui obscurcissait sa vie, finira par la reconsidérer, par trouver une raison de vivre autre que l'avoir et le contrôle. Enfin comme dans le livre de la Genèse au septième jour, le repos, le calme, la paix...

On ne manquera pas dans ce roman d'une vie "réussie" qui se délite, les moments où Luc Lang critique notre monde complexe, où les hommes sont avides de posséder plus, n'ont plus le temps de se poser et de réfléchir au sens de leurs actes, où la technique prend le pas sur l'humain.
Autour de Lescun, le Pic d'Anie, les Arres de Camplong, le pas de l'Osque, les alentours de l'Ossau... ces endroits que le randonneur du GR10 connaît, sont des endroits splendides. Luc Lang doit beaucoup les aimer pour en faire une description aussi précise et somptueuse.
Outre qu'il fait voyager, ce livre nous plonge dans la transformation d'un homme qui aurait pu se laisser végéter après la mort de son épouse, mais qui décide d'aller au-devant de ce qu'il comprend le moins et qui lui est difficile, d'aller à la rencontre de sa sœur Pauline, une humanitaire, l'envers de son ambition première... Ce voyage en Afrique noire et la découverte du pays sont fascinants. A chaque page on craint le pire alors que le meilleur arrive.

538 pages sans un blanc, sans un moment de repos. Une quête individuelle qui accroche le lecteur et l'impressionne, certainement parce qu'elle nous concerne tous. Une écriture superbe et d'une rare précision.
Un roman grandiose à ne pas manquer. Une des belles réussites de cette rentrée littéraire.


Réparer ensemble le tissu déchiré du monde

Éditions Les Liens qui libèrent

Conseillé par (Libraire)
3 septembre 2016

Abdennour Bidar veut susciter un mouvement de Tisserands suffisamment vaste pour réparer la Grande Déchirure du monde et de la société humaine. Il s'agit de répondre à l'urgence de recréer les trois liens fondamentaux que sont le lien à soi-même, le lien social de la fraternité et de la coopération, le lien de la méditation qui est spirituel et permet de renouveler notre regard sur le monde.
Ce tissage auquel nous convie le philosophe n'est pas un projet politique, mais un projet de civilisation capable de répondre au besoin de sens de nos contemporains et de restaurer l'humanisme. Selon lui, nombreux sont ceux qui s'aventurent dans la recréation d'une société plus humaine, mais comme ils sont dispersés, il leur propose un corpus commun leur permettant de se reconnaître comme Tisserands, de se relier sans s'aliéner, de ne pas avoir à s'inféoder à un parti politique, de ne pas s'enfermer dans une idéologie ou une pratique religieuse. Il les incite à puiser dans le fonds des sagesses patrimoniales de l'humanité pour pouvoir répondre à la question "comment être libre ensemble".
La réflexion d'Abdennour Bidar à la forme d'un plaidoyer que l'on pourra trouver exagérément optimiste. Il reste que cet appel au lien, à la liberté et à la responsabilité est à lire et à méditer, puis à le rendre opérationnel.


Conseillé par (Libraire)
31 août 2016

À chaque rentrée littéraire, et pour la 24ème fois, un nouveau Nothomb. C'est une habitude et pourtant, c'est une surprise.
Cette fois, Amélie Nothomb s'empare du Riquet à la houppe de Charles Perrault. Son Déodat, dont la hideur est sans pareille, sera ornithologue, et sa Trémière, sublimement belle, qu'on dit sotte, sera l'égérie d'un joaillier. Amélie Nothomb narre l'enfance de ses héros qui en voient de toutes les couleurs. Puis, en leur donnant une orientation professionnelle, elle dévoile ce qu'ils aiment et qui va aimanter leurs vies : les oiseaux et les bijoux. Ils se rencontrent de façon imprévisible, s'aiment de suite au-delà de tout, mais restent différents, solitaires, à part. Ils s'aiment et sont heureux de s'aimer, une dimension qui manquent aux romans dans lesquels l'amour est toujours tragique. Nothomb, qui a lu les 147 romans de la Comédie humaine de Balzac n'a compté que 6% d'histoires d'amour qui se terminent bien. Un constat qui l'interroge : à quoi tient que l'amour de Déodat et Trémière perdure ?
Un roman agréable à lire, avec de fines considérations sur divers sujets.
Sans doute un des plus beaux romans d'Amélie Nothomb.


Piranha

Conseillé par (Libraire)
20 août 2016

En 2007, à Copenhague, des émeutes secouent la ville alors que les autorités ont décidé d'évacuer puis de détruire la Maison des jeunes, un repaire du mouvement autonome et de toutes sortes de gauchistes. Chaque nuit, de violents affrontements opposent des activistes à une police qu'ils haïssent.
À proximité, dans un cimetière contrôlé par la police, on découvre le cadavre d'un homme appuyé à un mur. Il porte le même genre de vêtements que les manifestants. Dès lors, le soupçon pèse sur la police qui aurait fait une bavure, à moins que ce soit un règlement de comptes suite à une histoire de drogue, ou autre chose...
Le policier qui mène l'enquête est Alex Steen, un homme à la vie compliquée. Il est divorcé et s'occupe de sa fille d'une façon très personnelle, ce qui déplaît à son ex. S'il est efficace, ses méthodes de travail sont parfois à la limite de la légalité. Lorsqu'il trouve un indice, Alex Steen est un peu comme un chien de chasse qui suit la trace sans s'occuper de ce qui l'entoure, ce qui peut agacer ses collèges et sa hiérarchie.

Jesper Stein tire parti de son expérience de journaliste pour émailler son roman de faits précis. Le cadavre a été trouvé dans le district de Nørrebro, un quartier à la forte diversité ethnique, maintenant animé et branché, qui a connu une histoire agitée jusqu'aux émeutes de 2007. Le roman se déroule aussi dans le quartier de Christiana, autoproclamé "Ville libre" dans les années 1970, par un groupe de libertaires et de hippies. Christiana a son propre drapeau, sa monnaie et on y vend du cannabis au su et au vu de tous.
Le roman ne manque ni de fausses pistes, ni de rebondissements et le suspense ne faiblit pas. L'auteur décrit avec précision la traque que mène Alex Steen, sans complaisance pour la police lorsque ses méthodes sont douteuses. Il montre bien la violence qui explose facilement dès que la police apparaît. Avec une précision quasi-documentaire, il nous fait parcourir la ville qu'il décrit avec précision.
Ce roman, le premier d'une série de cinq volumes, laisse augurer de suites passionnantes.


Conseillé par (Libraire)
16 août 2016

Dans le Montana des années 1980, Pete Snow, assistant social, vient en aide à des enfants bien amochés par la vie dans des familles de déséquilibrés. Lui-même aurait bien besoin d'aide, avec sa fille Rachel qui a fugué de chez sa mère et qu'il ne retrouve pas, ce qui le met dans des états très dépressifs. Séparé de sa femme infidèle qu'il aime encore, il mène une vie de vieux garçon, cherchant la sérénité dans l'alcool, se battant quand il a trop bu, vivant dans un mobil-home pas très rangé, s'efforçant d'oublier un père d'une trop grande rigueur et protégeant son frère recherché en vain par la police. Bref, il est le décalque des inspecteurs de police alcooliques et vaguement ripoux que l'on croise dans les polars...
Mais il est assistant social... Il s'occupe de gamins vraiment cabossés. Comme la petite Katie qui se cache dans des placards et que lui seul arrive à approcher. Ou Cecil, son frère, bon délinquant qu'il fera mettre dans une prison sévère lorsqu'il aura épuisé toutes les solutions d'accueil, ce qui le conduira à se calmer et à lui donner sa confiance. Ou encore Benjamin, le fils de Jeremiah Pearl, rencontré par hasard dans l'école dans laquelle il s'était introduit par curiosité. Ben est un enfant quasi-sauvage, maltraité par un père illuminé, mystique, fondamentaliste, en guerre contre tout et tous. La famille Pearl, ou du moins ce que Pete Snow en connaît, à quitté une maison pour des campements sans confort, installés sous une bâche, autour d'un feu de bûches, cachés dans la nature, loin du monde habité. Le père refuse toute aide, de même qu'il refuse de dire où se trouvent sa femme et ses autres enfants. D'ailleurs, existent-ils ? Sont-ils encore vivants ?
Ce qui surprend, c'est que cet homme, Pete, qui en bave dans sa vie personnelle, puisse trouver les moyens d'entrer en empathie avec ces gamins abîmés, de les tenir à bout de bras jusqu'à ce qu'ils trouvent l'endroit et les personnes avec qui se mettre à vivre humainement.
Le portait que Smith Henderson dresse de l'Amérique sous Reagan est glacial, triste, peu élogieux. C'est celui d'un Montana rempli de pauvres hères, d'alcooliques, de de types violents. Mais c'est aussi le portait d'un Montana des grands espaces, à la nature sauvage, encore presqu'inviolée.
Ce roman que l'on peut lire comme un roman policier, comme un roman social ou comme un roman de nature, voire comme un western moderne, est cruel et triste, souvent déprimant. Il a cependant un côté grandiose, démesuré de par la tâche de Pete Snow. Le style de l'auteur est magnifique, élégant, dense, poétique dans ses descriptions de la nature. Deux vies se déroulent en alternance : celle d'un enquêteur anonyme qui ne cesse de poser des questions à rachel, la file que recherche Pete Snow, celle de l'assistant social, ce qui donne une originalité recherchée à ce roman. Les personnages sont peu banals et émouvants; ils nous inquiètent. Les rebondissements ne manquent pas. La folie du monde est au rendez-vous.
Comme on se demande comment tout cela va finir, on ne lâche pas ce gros premier roman.