Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
7 avril 2017

Depuis les années 1970, Lydia et Claude Bourguignon étudient les sols agricoles et alertent sur leur dégradation. Ils mettent en cause les pratiques de l'agriculture intensive qui reposent sur une intensification de la production par "l'utilisation de variétés de céréales à hauts rendements, d'engrais, de pesticides et d'irrigation", sans tenir compte de la nature des sols cultivés et du climat local. Le sol est considéré comme seulement un support inerte et non pas comme une biomasse vivante.
Ils soulignent l'échec de la mondialisation qui a conduit à mettre en concurrence sur un même marché "des produits agricoles obtenus par es payes ayant des climats différents", produits par des paysanneries n'ayant pas les mêmes moyens (mécanisation, traction animale).
Pour contrer cette destruction de l'agriculture, ils proposent des solutions pour la faire évoluer et la rendre plus durable et qualitative. Leur modèle va au-delà de la "révolution verte" et veut renouer avec une agriculture paysanne qui s'inspire de la tradition sans négliger les progrès scientifiques : dépendance du soleil et non du pétrole, sols fertiles plutôt que fertilisés, plantes adaptées à leur environnement et sélectionnées par les cultivateurs plutôt que par les semenciers, respect de la biodiversité végétale. Ils dénoncent l'accaparement des sols, des semences, le lobbying des industriels, la spéculation sur les denrées agricoles…

Le titre indique bien que l'ouvrage est un manifeste. La lecture de ce petit livre est enrichissante pour qui veut rapidement connaître le fonctionnement des sols et les problèmes posés par l'agro-industrie. Le retour à une agriculture paysanne n'est pas le retour nostalgique à un passé idéalisé, c'est la prise de conscience que la nature n'a pas à être violentée mais respectée. Il s'agit bien, en changeant nos modes de vie et de consommation, en cultivant autrement, d'assurer la sécurité alimentaire à toute l'humanité.

Conseillé par (Libraire)
6 avril 2017

En revenant d'accompagner ses jeunes enfants de l'école, Iris est victime d'un attentat. Grièvement blessée, elle passe des mois à l'hôpital, subit trois opérations pour restaurer ses os brisés. Dix ans plus tard, la douleur qui ne l'a jamais quittée se fait soudain insupportable. Au hasard d'une consultation médicale, elle reconnaît dans le médecin, Ethan, son premier amour. Lycéenne, elle l'avait passionnément aimé, l'avait soutenu avec abnégation lorsqu'il soignait sa mère. À sa mort, il l'avait rejetée à la fin des jours de deuil. Elle retrouve alrs l'amour passionnel qu'elle croyait disparu. A-t-elle droit à une deuxième chance ?
Elle n'ose y croire, mais se laisse tenter. Son mariage est en voie de dissolution, son métier l'accapare au-delà du raisonnable et l'épuise, son fils qui, enfant était si difficile, va bientôt recevoir son ordre de mobilisation et n'aura plus besoin d'elle, sa fille est partie vivre et travailler à Tel Aviv et ne revient que rarement à la maison. Est-elle libre de son avenir ?
Ethan réactive le passé. Elle se remémore sa vie familiale, celle de ses parents, le déclin de son amour pour son mari, l'hyperactivité enfantine de son garçon, le manque de curiosité et de vitalité d'Alma, sa fille qui est tombée sous la coupe d'un gourou malhonnête. Elle, sans doute, a encore besoin de sa mère. Elle est tiraillée entre la fidélité à sa famille, sa mission de mère et d'épouse. Elle montre sa grande anxiété pour l'avenir d'Alma, comme si la jeune fille devait rester dépendante de sa mère tout au long de sa vie.
Retrouvant la vie mémoire de sa vie, elle découvre ce qu'elle doit à son passé, à l'amour de sa famille et de ses parents. Comment ses comportements amoureux et affectifs sont conditionnés par son histoire. Comment toute une vie qui n'est pas élucidée peut être pleine de douleurs.

"Douleur" est un grand et beau roman sur la famille, les relations parents-enfants, l'amour et la passion, la fonction parentale. De même que la société israélienne ne vit pas dans a paix, la société que forme la famille de ce roman ne vit pas en paix. Chacun se reproche d'être responsable de ce qui est arrivé à Iris, sans jamais interroger l'objectivité des faits, évoquer le hasard, créer un moment de paix pour se parler de ce dramatique matin.
Dans des phrases très construites, fiévreuses, Zeruya Shalev laisse son personnage principal exprimer ses pensées et ses sentiments intimes, ses moments de joie, ses craintes, sa douleur, la difficulté de choisir.
En 2004, dans un grave attentat qui a fait onze morts, Zeruya Shalev a été gravement blessée et durement traumatisée. "Douleur" n'est pas sans lien avec sa propre histoire, avec la Bible (Joseph,le fils préféré, le frère trahi) et avec la partition de son pays, avec la politique israélienne et palestinienne.
Un roman intense, grave, beau.

réinventer le travail et le modèle économique

Éditions Les Liens qui libèrent

Conseillé par (Libraire)
4 avril 2017

Les Économistes atterrés affirment que le modèle de croissance est à reconsidérer parce que les ressources de la planète sont limitées, que nous avons atteint l'âge de l'anthropocène, cette époque de l'histoire de la Terre où les activités humaines sont devenues la force géologique modifiant l'écosystème terrestre.
Ils observent que ce n'est pas la fin du travail comme activité humaine mais que la forme de l'emploi a changé et que l'ubérisation de l'emploi provoque un assèchement de la protection sociale. Ils affirment qu'une "grande bifurcation" est vitale pour éviter la mort de la démocratie et de la société humaine.
Dans une première partie, Les Économistes atterrés analysent l'évolution du marché et des formes de l'emploi, le fonctionnement des banques et les exigences des actionnaires, l'impact des grands sociétés internationales -notamment le rôle de dominateur des GAFA, le rôle du capital, la transformation du "bien public" en biens privatisables et marchandisables par l'État.
Dans la suite, les Économistes atterrés envisagent quelles pistes permettraient de sortir de la crise du capitalisme. Ils expliquent et critiquent le revenu de base qui ne pourrait tenir ses promesses. Parce que la crise du capitalisme oblige à plus : "à la remise en cause de l'organisation de la production , du travail, du temps de travail, de la répartition des revenus" et à une refonte des rapports sociaux pour faire reculer la pauvreté.
À propos du temps de travail, ils envisagent comment cette question, au 21e siècle, peut contribuer à la construction d'une société s'éloignant du productivisme et du consumérisme, pour aller vers la soutenabilité écologique. Ils soulignent que l'augmentation de la productivité qui a rendu possible la réduction du temps de travail est due à l'organisation de la société toute entière. S'opposant aux théories néolibérales, ils soulignent que de nouvelles réductions du temps de travail permettraient des créations d'emplois, mais obligeraient à une autre répartition de la valeur.
Ils se prononcent pour une extension de l'Économie sociale et solidaire, avec des "Coopératives d'activité et d'emploi" qui rassemblent des "entrepreneurs-salariés", un nouveau "Droit commun du travail" pour étendre et renouveler la protection sociale, conçu comme un droit fondamental, qu'il ne faut pas confondre avec une "sécurisation des parcours professionnels". Ce nouveau droit serait assis sur le travail et non sur l'emploi salarié.
Enfin, le nécessaire rétablissement de la soutenabilité des modes de vie passe par une restauration de l'investissement et de l'initiative publique. Ils précisent que ce qu'on nomme "dépenses publiques", qui produit des services utiles (éducation, sécurité, soins..) est productif de richesses et que les "prélèvements obligatoires" sont le paiement collectif du produit non marchand, c'est une vraie valeur. L'entrée dans la transition écologique nécessitera un investissement public de haut niveau et une vision à long terme qui ne peut reposer sur l'initiative privée. Concernant la relance de la politique industrielle, les Économistes atterrés considèrent qu'elle est nécessaire à la transition écologique et énergétique et qu'elle inventer de nouveaux modèles productifs.

On le voit, cet ouvrage n'offre pas une vision irénique de l'avenir, mais une perspective exigeante. Ce n'est pas un catalogue de solutions, mais un ouvrage qui analyse, avec un souci pédagogique constant, la crise que nous subissons et qui sort des sentiers battus et des évidences pour construire une possibilité de bifurquer vers un avenir raisonnable et soutenable, et vers une revivification de la démocratie. Une lecture intéressante et stimulante pour la pensé

Conseillé par (Libraire)
1 avril 2017

Quand Vivian Gornick avait treize ans, son père est mort et sa mère est devenue une veuve inconsolable. La plainte devient son mode de vie. Sa fille ne pourra se détacher du chagrin et de la folie de sa mère. Toutes deux ne cesseront de déambuler dans les rues de New-York, toujours les mêmes, en s'aimant et en se haïssant tout à la fois. Elles se remémoreront les mêmes souvenirs de leur vie dans l'appartement d'un immeuble presqu'entièrement habité par des familles juives. Comme si elles étaient enfermées dans leur géographie familiale. Car la majorité de leurs échanges ont lieu à l'intérieur de l'immeuble, et même de l'appartement dans la cuisine ou à la fenêtre, et rien qu'entre femmes.
Petite fille, spectatrice de cette vie confinée, elle se construit en référence à deux modèles : sa mère, femme autoritaire, et Nettie, la voisine, une séductrice qui fait monter des hommes chez elle. Quand sa mère devient veuve, l'adolescente reste attachée pour toujours à la veuve rusée et malheureuse qu'elle est devenue.
Elle raconte ses échecs sentimentaux avec des hommes auxquels elle ne peut s'attacher, son angoisse de ne pouvoir écrire autant qu'elle ne le voudrait.
Mais quand elle écrit, elle prend de la distance avec cette vie recluse, ouvrant son regard sur qui est vraiment sa mère : une ex-militante communiste et une femme indépendante et originale. Lucidement, elle se reconnaît comme son héritière, une femme pleine d'un humour féroce, remarquablement intelligente, une subtile observatrice, une femme libre de sa parole et de ses choix amoureux, une féministe, bien qu'elle n'emploie pas le mot.

Publié en 1987 et très connu aux États-Unis, c'est la première fois que Attachement féroce est publié en France. Vivian Gornick (née en 1935 dans le Bronx) est une auteure célèbre, reconnue pour ses reportages et ses chroniques féministes des années 1970, et pour ces critiques de romans. C'est une splendide autobiographie qui se lit d'une traite et transporte son lecteur dans une autre vie, dans une autre époque.

Liana Levi

Conseillé par (Libraire)
30 mars 2017

Paul Kubler est revenu à Rouen, la ville de son enfance, muté dans un commissariat. Le policier s'est fait jeter du Quai des Orfèvres pour avoir accusé quelques collègues d'en croquer. A Rouen, il lui semble qu'il va s'ennuyer. D'ailleurs, affecté à la surveillante lointaine d'une manifestation des ouvriers d'EuroGaz dont l'usine est menacée de de fermeture, au lieu de rester tranquillement assis dans voiture, il s'en va taquiner les occupants d'une grosse voiture noire qui, selon lui, n'a rien à faire là. Le ton est donné. Quand l'eau du robinet va couler rose, puis vert fluo, Kugler se met sur la trace du pollueur des sources du Moulin et ne va rien lâcher. Même si la coloration n'est pas toxique, il ne faut pas que les rouennais paniquent…
Alors Paul Kugler enquête, se documente sur les mystères de la craie, le karst, les bétoires, la DUP. Il insiste auprès des institutions, BRGM, service des eaux, cabinet d'études GéoWater, l'ARS, Agende de l'eau... Il embête le directeur d'EuroGaz. Il s'informe auprès d'un ancien camarade de lycée. Il va faire de la spéléo sous une fausse identité avec Melody, la princesse du karst, une jeune hydrogéologue douée. Il course Gangsta au travers des jardins et se laisse surprendre, ce qui lui vaut gros coquard et entorse cervicale, et aussi de retrouver l'estime de ses collègues.
On lui adjoint un collègue qui sait fouiner et trouver l'information. Avec lui, il remonte la piste d'une magouille et d'une série de pressions pour une histoire de déclassement de terrains à construire. Il lui faut faire vite car l'affaire prend une sale tournure.

Le personnage de Paul Kluger est celui d'un policier qui consacre toute son énergie à son métier, un homme pugnace qui sait qu'il est un bon flic et qui le montre.
Ce qui est bien, avec David Humbert, c'est qu'il fait son héros partager sa documentation pour qu'on comprenne bien les enjeux de ce qui se passe. A l'occasion, il nous fait un peu d'histoire de la ville et des alentours. Cela donne un roman intéressant à la progression claire, avec un suspense savamment entretenu. Peut-être parce que Kluger se déplace à moto, le style est vif ? Le roman est nécessairement technique, le sous-sol de la Haute-Normandie étant complexe, mais le propos est clair comme de l'eau de source, la malhonnêteté est insupportable et l'eau est un bien commun à protéger, une chose sérieuse.