Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
7 novembre 2016

Ce n'est pas parce qu'un roman obtient le prix Goncourt qu'on est obligé de l'aimer... Mais cette année, j'ai aimé Chanson douce...
J'ai aimé l'écriture qui fait juste ce qu'il faut pour raconter cette histoire comme si c'était un thriller et laisser monter l'angoisse chez le lecteur. J'ai aimé la situation de cette nounou parfaite qui ne l'est pas tant que cela. J'ai aimé que la serviabilité extrême de Louise n'éveille aucune réticence chez ses employeurs, comme son dévouement ne devait pas avoir de limites, ni même être limité. J'ai aimé que soit bien retranscrite la relation si souvent complexe entre l'employée de maison et ses employeurs, cette difficulté à bien positionner le curseur de la relation. J'ai trouvé que les préjugés du couple vis-à-vis de Louise sont bien comme dans la vie réelle, hélas. J'ai été touché par le niveau du besoin d'amour de Louise qui s'est tellement attachée aux enfants, et l'enchaînement des déconvenues qui, peu à peu, vont l'enfermer dans la folie meurtrière. J'ai apprécié que ce roman soit presque un essai sociologique.
Voilà pourquoi cette année, j'ai aimé "le Goncourt".

Conseillé par (Libraire)
25 octobre 2016

Un grand livre

C'est une dramatique histoire d'amour qui unit deux jeunes hommes. Rasmus a fui un petit village de la Suède profonde pour aller faire des études et vivre à Stockolm. Benjamin est d'une famille de Témoins de Jéhovah observant strictement les règles de la congrégation. L'un et l'autre sont accueillis par Paul, un homosexuel qui chasse les jeunes hommes arrivant à la gare de la capitale. Paul est un homme excentrique, extraverti, très généreux, qui a formé une petite bande avec Reine, Lars-Ake, Bengt, Seppo, dont on suivra la vie jusqu'aux dernières pages
Rasmus et Benjamin vont longtemps cacher leur homosexualité à leurs parents qui les rejetteront dès qu'ils sauront. Nous sommes en Suède, dans le début des années 1980, au moment où le Sida apparaît. Rasmus, qui a des amants d'un soir, va être contaminé. Benjamin restera près de lui jusqu'au dernier jour, et même après.
Précisons que ce livre magnifique n'est pas qu'une histoire d'amour. C'est aussi un livre de souffrance, de douleurs, de solitude, de mort. On y mesure la longue marche des homosexuels avant "qu'ils sortent du placard", qu'ils soient pour le moins tolérés, pour le mieux acceptés par la société.
L'auteur intercale dans son récit des informations sur l'apparition du sida, son évolution, les différentes étapes du traitement, les réactions de la société. Ce récit est fortement documenté.
Une image est présente dans ce récit, celle de l'élan blanc que Rasmus a vu une fois dans son village. Animal solitaire parce différent, il était sorti de l'ombre de la forêt, juste un moment, le temps de l'apercevoir, puis il avait disparu. Comme ces deux jeunes hommes qui n'ont eu le temps de s'aimer et d'exister publiquement que pendant sept trop brèves années avant que Rasmus meure. Comme les autres personnages qui ont vécu longtemps cachés, qui ont juste eu le temps de s'affirmer homosexuels et d'aimer avant que le sida ne les fasse disparaître dans la nuit de la mort.
Le roman est construit d'allers-retours entre le présent et le passé. Le lecteur prend le plus souvent connaissance de la vie actuelle des personnages avant de revenir sur leur passé, leur enfance, la vie dans leurs familles. Cela rythme ce gros livre de 591 pages qui est comme un mémorial dédié à ce groupe d'hommes qui ont souffert, aimé et qui sont disparus.
L'écriture est agréable. L'auteur sait montrer la beauté de l'amour de Benjamin et Rasmus, de leur vie spirituelle, de la camaraderie de la petite bande réunie autour de Paul. En même temps, il décrit avec force la cruauté de leurs situations, la douleur, les larmes, la mort, l'insensibilité et l'intolérance.
Jonas Gardell dit à plusieurs reprises que "ce qui est raconté dans cette histoire s'est réellement passé". On ne peut fermer le livre sans être bouleversé, sans avoir été écœuré, choqué, révolté à plusieurs reprises. La vie de ces hommes n'est pas que tendresse.
Et on ne peut le fermer sans rester songeur quant à l'état de notre société, à l'intolérance, aux racismes, au rejet de l'autre.
Enfin, on ne peut le fermer sans garder en mémoire ce vœu admirable et douloureux de Benjamin, "Je veux dans ma vie pouvoir aimer quelqu'un qui m'aime".

Conseillé par (Libraire)
24 octobre 2016

En 2014, Sylvain Tesson, l'aventurier que rien se semblait pouvoir arrêter, est tombé d'un toit où il faisait le pitre. L'homme au physique puissant et à la santé parfaite s'est brisé plein d'os. Il aurait pu ne jamais repartir. Mais comme il s'est promis de traverser la France à pied s'il s'en sortait, le voici qu'il prend la route entre août et novembre 2015 de Tende à La Hague, par des chemins méconnus que personne n'emprunte plus, ces "chemins noirs" qui permettent de quitter la civilisation, de se fondre dans des territoires ruraux que la modernité technologique n'a pas encore modifié. Il traverse le Mercantour, le Verdon, l’Aubrac, les monts du Cantal, le Limousin, la Touraine, la Champagne, la Mayenne et le Cotentin, des endroits cités dans un rapport sur l'hyper-ruralité qui se souviennent et parfois vivent comme aux temps jadis. Il s'arrête ici et là, commande une tasse de Viandox puisqu'il ne boit plus d'alcool, dort dans des gîtes ou à la belle étoile, fait et note ses rencontres, fait des remarques très pertinentes sur la vie sociale des campagnes qu'il traverse, sur l'action politique, contemple la nature, cite Bernanos. Traversant son propre pays, lui qui en a connu tant d'autres, il l'observe et se pose la question : qui habite encore ces communes oubliées, ce village que même les anciens ont quitté ?
Peu à peu, son corps blessé reprend vie, ses douleurs disparaissent, il retrouve sa cadence de randonneur. C'est un retour à la vie sur lequel il ne s'appesantit pas, car il ne faut pas attendre de l'homme qu'il fasse une introspection ou une méditation philosophique tout en marchant. Mais il décrit son territoire avec une écriture légère et limpide.
Comme il ne s'embarrasse pas des questions matérielles, qu'il n'avait pas pour projet d'écrire un guide de la France rurale, on pourra trouver que 150 pages, c'est un peu court pour relater deux mois et demi de marche. Il reste que c'est suffisant pour vérifier qu'il peut encore prendre la route, "partir droit devant soi et battre la nature" par "des vallons où s'engouffrer le jour sans personne pour indiquer la direction à prendre" et "couronner ces heures de plein vent par des nuits dans des replis grandioses".
Un essai émouvant qui se lit avec plaisir, où l'on aimera retrouver le Tesson des grands chemins.

Conseillé par (Libraire)
24 octobre 2016

Au début du moins de novembre 2013, le typhon Yolanda (Haiyan) s'est abattu sur les îles des Philippines avec des vents qui ont atteint jusqu'à 315 km/h. C'est l'un des typhons les plus violents jamais enregistrés. Des milliers de personnes sont mortes en quelques minutes.
À Tacloban, sur l'île de Leyte, Madel, une jeune journaliste de télévision, passe un moment en famille. Jan, son compagnon disparaît, emporté par la vague ainsi que l'enfant confié confié à Madel qui lui a lâché la main, et que la mère de Jan, noyée dans sa propre maison.
Le calme revenu, Madel découvre l'ampleur de la catastrophe, Tacloban est entièrement détruite. Elle ne quitte pas l'île, se plonge dans son travail de journaliste. Elle donne des nouvelles pour que le monde se rende compte de l'ampleur du désastre, en essayant de ne pas céder au voyeurisme et de garder l'attention de son public. Elle va au plus près des survivants, recueillant leur parole, écoutant leur détresse, racontant l'horreur. Elle tente par là, d'oublier que ses proches ont disparu, de calmer sa souffrance.
Mais comment vivre après avoir connu la violence de Yolanda sans en garder la mémoire ?
Le tout début de ce récit ne laisse pas présager de la qualité de l'ouvrage qui rend bien compte de la violence de ce typhon et de l'état de délabrement dans lequel il a laissé l'île. Anaïs Llobet est journaliste et se trouvait aux Philippines lorsque le typhon a frappé. S'il y a une part d'autofiction dans ce récit, elle n'apparaît pas comme telle. Les personnages sont bien structurés, sans doute parce que la journaliste a vécu de drame dans la réalité. L'écriture est fluide et pas seulement focalisée sur la catastrophe, ce qui rend la lecture passionnante. Dans cette ambiance dramatique, la générosité des habitants, l'entraide, le courage, la volonté de ne pas se laisser détruire sont très présents et apparaissent comme un hommage que leur rend la journaliste.
Avec une sorte de discrétion, Anaïs Llobet y ajoute une réflexion sur le travail d'une journaliste présente sur les lieux d'une catastrophe humanitaire. Si l'équation à résoudre est simple, elle est néanmoins difficile : rapporter les faits, faire de l'audience, filmer des images qui fassent choc, alerter l'opinion et maintenir son attention dans le temps, ne pas céder au voyeurisme, rester honnête et intègre, tenir le choc.sur le lieu agréable.
Un bon roman qui ne pousse pas à pleurer, qui raconte avec pudeur l'horreur de la catastrophe, qui laisse sa part à la sensibilité de l'auteure.
Un premier roman qui fait espérer un second...

Conseillé par (Libraire)
13 octobre 2016

En 1920, Walter Langdon et son épouse Rosanna achètent une petite exploitation agricole dans l'Iowa. Jusqu'en 1935 (et en trente-trois chapitres) on suit sa famille qui connaît les grands moments de l'histoire de la première moitié du 20e siècle. Des enfants naissent de leur union, grandissent, mènent des vies diverses selon leurs intérêts ou leurs caractères, se marient, ont des enfants. La ferme est transmise à un des garçons, s'étend, se modernise, produit de plus en plus. Le tracteur remplace les chevaux, l'électricité apparaît. Les mentalités évoluent et supplantent la religion qui structurait le village rural. Ceux qui partent à la guerre en reviennent, connaissent l'Amérique d'après, la crainte du communisme, les soupçons, la modernité. Les enfants quittent la campagne pour des vies dans les villes... C'est toute une vie qui défile sous les yeux du lecteur qui contemple le déroulement du quotidien des personnages. Il n'y a pas d'intrigue à proprement parler, mais une fine description de trente-trois années de la vie de la famille Langdon, avec un souci de précision pour tout ce qui concerne la vie de la ferme. Au fil des années, la naissance des enfants permet à Jane Smiley de dresser une assez vaste galerie de portrait. Mais la famille dont elle décrit l'histoire est une famille américaine traditionnelle, bien pensante, avec le père attaché à sa terre et au labeur, avec l'épouse qui œuvre à la maison et à l'éducation des enfants. Peu de personnages transgressent ce modèle.

L'auteur écrit bien et raconte de façon agréable. Mais ce n'est pas la richesse des psychologies de personnages, ni de surprenants rebondissements qui soutiendront l'intérêt du lecteur. C'est bien davantage l'aspect documentaire, le regard panoramique qui permet d'embrasser dans un seul volume un demi-siècle de l'histoire et du quotidien d'une famille. C'est pour ces raisons -l'agrément de lecture, la minutie des descriptions et l'aspect quasi-documentaire - que j'ai apprécié ce livre et qu'il m'a fortement intéressé.