Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
1 avril 2019

À trente-sept ans, Anne Capestan est nommée commissaire de police. Elle sort d’une suspension de six mois pour prendre la direction d’une nouvelle brigade qu’a constitué le directeur de la Police judiciaire, Buron, son mentor. Cette brigade n’est pas installée au 36 quai des Orfèvres, mais dans un ancien appartement, rue des Innocents. En effet, elle rassemble quarante personnes qu’on préférerait voir quitter la police, "je vous la fais courte : on nettoie la police pour faire briller les statistiques. Les alcoolos, les brutes, les dépressifs, les flemmards et j'en passe, tout ce qui encombre nos services mais qu'on ne peut pas virer, on le rassemble dans une brigade et on l'oublie dans un coin". Sa mission est d’étudier à nouveau des affaires non résolues. La fine équipe comptera un peu moins de monde : Louis-Baptiste Lebreton, un flic venu de l’IGS qui avait enquêté sur la bavure de Capestan, Eva Rosière qui s’est fait un nom et une fortune en écrivant des polars et les scénarii d’une série, Merlot qui est surtout un pilier de bar, Orsini l’informateur clandestin de la presse, José Torrez, le flic qui porte malheur à ceux qui l’approchent, la discrète lieutenant Évrard, une joueuse compulsive mise au placard pour des présumées magouilles, ainsi que quelques autres.
Rien que des bras cassés, une équipe qui va révéler, comme dira Buron, "une troisième voie insoupçonnable car placardisée. Mais bien construite".
Ils vont s’intéresser à deux affaires de crimes non résolues. Celle vieille de vingt ans du marin Yann Guénan, retrouvé dans la Seine après avoir été exécuté. Et celle de Marie Sauzelle, une ancienne institutrice tuée sept ans plus tôt, dont se chargent Capestan et Torrez. C’est un cambriolage qui aurait mal tourné. Des détails ne concordent pas. Que la maison ne soit toujours pas vendue ni nettoyée et qu’un voisin bizarre la surveille, accrochent leur attention. Deux enquêtes à mener sans moyens par des policiers peu motivés au départ. Capestan ayant une autorité réelle, une attention à chacun et la volonté que son service réussisse là où les autres ont échoué, les affaires vont avancer vers leur terme. Le cas vite résolu du jeune Riverni, un dealer fils de ministre, qui met en émoi toute la hiérarchie, va montrer aux incrédules ce dont la brigade est capable...
Car cette équipe parvient à des résultats indéniables grâce à l’opiniâtreté de la commissaire Capestan, à sa douce fermeté et à son empathie, aux particularités de chacun, à la rigueur de quelques-uns et à la bonne ambiance qui s’installe dans le groupe qui devient une sorte de famille où il fait bon vivre..
L’intrigue de ce roman policier est bien ficelée, il faut le préciser parce que le début prépare plutôt le lecteur à un roman ironique qui se moquerait de la police. C’est bien mené, drôle, joyeux et parodique. À ne pas laisser passer

Conseillé par (Libraire)
26 mars 2019

Cette longue lettre est donc l’hommage de Marceline Loridan-Ivens à son père qui n’est jamais revenu des camps. C’est aussi un récit de la Shoah dont il montre l’inhumanité. Un texte intense, poignant, qu’on lit d’une traite, la gorge nouée par l’émotion. En rédigeant ce court texte, Judith Perrignon a su éviter tout pathos et a permis qu’il aie une réelle qualité littéraire.
Il y a plein de témoignages de la vie dans les camps et de la barbarie nazie, il n’y en aura jamais assez pour que dire l’horreur et la barbarie, pour écouter tous les déportés qui sont revenus des camps et qui, dans leur tête, dans leurs corps, dans leurs vies, sont restés là-bas. Lorsqu’ils ne seront plus, que restent encore leurs récits, nécessaires.

Conseillé par (Libraire)
22 mars 2019

L’héroïne du roman de Maylis de Kerangal porte un nom qui claque : Paula Karst. Il définit bien le personnage : une fille décidée, volontaire, déterminée. Une fille qui décide d’apprendre le métier méconnu de peintre en décors trompe-l’œil. Une fille prête à tout pour y arriver. Pourtant, avant l’école, elle avait pourtant été une » fille moyenne, protégée, routinière, et pour tout dire assez glandeuse, de celles qui passent le plus clair de leur temps sur la banquette d’un café »
Comme pour beaucoup, ce métier ne m’est pas plus familier qu’un voyage en sous-marin. Mais avec Maylis de Kerangal, on est rassuré à l’avance de savoir qu’elle aura accumulé une dense documentation avant de saisir le premier mot de son roman dans son traitement de texte. On va donc découvrir ce monde méconnu.
L’auteure ne tombe pas dans le piège d’écrire un roman documentaire. Elle raconte l’histoire d’une jeune fille qui va s’initier à la peinture et découvrir le trompe-l’œil. Elle raconte les doutes, la persévérance, les apprentissages de Paula et de ses colocataires, les débuts de leur métier jusqu’à la réplique de Lascaux pour Paula.

Paula s’est lancée à corps perdu dans cet apprentissage. La peinture devient son univers, « Ses yeux brûlent. Explosés, sollicités comme jamais auparavant, soit ouverts dix-huit heures sur vingt-quatre – moyenne qui inclura par la suite les nuits blanches à travailler ». Elle oublie de soigner son corps, sa colocation devient le prolongement de l’école, « Sa chambre prolonge l’atelier de l’école (…) ses draps puent l’essence« . Elle apprend les mots de la peinture, pas seulement les couleurs, mais aussi les outils, les matières, « un cerfontaine, un marbre assez technique, sans doute un peu difficile pour elle« . Elle apprend à regarder, à vivre autrement, elle comprend que « que peindre c’était d’abord ne pas peindre, mais sortir dans la rue et aller boire une bière« .

Elle découvre que pour peindre, il faut maîtriser le geste et que c’est d’abord « copier beaucoup« . Cette recherche de la maîtrise du geste n’est pas si différente de la construction du geste d’écrire du romancier, du mouvement du danseur ou du musicien qui répètent à l’infini jusqu’au moment où ils arrivent à exprimer ce qui les habite, ce qu’ils sont vu, ce qu’ils ont compris.

J’ai beaucoup aimé ce roman où se rencontrent la technicité minutieuse et la réalisation artistique du trompe-l’œil, la rigueur et la sensibilité. L’écriture de Maylis de Kerangal donne beaucoup de vie à cette jeune fille, dit bien son ardeur de vivre et d’être peintre. J’ai moins aimé la fin la visite des décors et la descente dans la grotte de Lascaux que j’ai trouvé pesante. Mais tout de même, c’est un très beau livre qui s’inscrit dans la démarche de recherche d’écritures différentes de l’auteur. Un roman totalement autre que « Naissance d’un pont« , « Réparer les vivants » ou « Un chemin de table » mais tout aussi beau et tout aussi addictif.

Conseillé par (Libraire)
19 mars 2019

C’est le matin de de Pessah, la Pâque juive, à peine une dizaine d’heures avant le séder que Salomon va fêter sans son épouse, Sarah, emportée deux mois auparavant par un cancer. Cependant, il ne sera pas seul, il sera entouré des siens, de ses filles Michelle et Denise qui se disputeront comme toujours, de leurs maris et de leurs enfants.
La famille de Salomon a disparu dans la Shoah. Il est le seul survivant. Il ne parle de cette période que lorsqu’il lance des blagues, généralement d’un goût douteux, qui ont le don de mettre mal à l’aise, et même de choquer, ses interlocuteurs, sauf ses amis rescapés, les seuls qui les comprennent. Ce qu’il nomme son "humour concentrationnaire" jette un voile pudique sur le camp qu’il n’a quitté que physiquement et dont le souvenir continue de l’habiter, "qu’ils me prennent quand ils veulent".
En attendant le soir, Salomon se remémore les sédarim qui ont jalonné son existence, le passé de sa famille, l’amour qu’il a porté à son épouse et comme elle lui manque ce jour, des petits souvenirs tendres comme celui de cette fête foraine avec ses deux petites filles, où il avait gagné deux poissons, et d’autres moins tendres comme le continuel conflit de ses deux filles, ses gendres , l’un hâbleur et l’autre hypocondriaque, qu’il trouve mal assortis à ses filles...
La fête de Pessah n’est pas simple : le sacré se célèbre dans un repas profane, à la maison, l’individu y participe personnellement sans oublier qu’il est d’un peuple, se rappelle une histoire qui rejoint le présent, qui s’actualise et ouvre un avenir. Cette nuit, le juif alsacien réunira sa famille pour le repas rituel, qui se déroulera tel qu’il "est décrit dans la Haggada. Un livre de prières et de lamentations, un récit de combat, d’exode, de questions et d’espoir. Pour en découdre avec l’oubli". Cette nuit, autour d’aliments symboliques , les petits-enfants poseront la question rituelle "Pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ?". Comme chacun le sait, le repas s’achèvera sur cette formule "l’an prochain à Jérusalem", souhait vain pendant des siècles, marque d’une fidélité absolue à l’alliance d’un peuple avec son Dieu, symbole que la Pâque actualise la sortie d’Égypte, le passage de la servitude de la nuit à la liberté. Le passé et le présent se confondent et se revivent dans la mémoire et dans le corps de Salomon qui est au crépuscule de sa vie.
Le roman de Joachim Schnerf est à la fois dramatique et drôle, toujours poignant. Son personnage empli de tristesse ne peut s’empêcher de se tourner en dérision. C’est un bel hommage à l’amour conjugal et familial, à la fidélité et une réflexion sur la vie qui passe et s’épuise.

Feuillets d'usine

Table Ronde

Conseillé par (Libraire)
7 mars 2019

C’est comme un cri jeté pour raconter la vie quotidienne à l’usine, le travail pénible, ce à quoi l’ouvrier occupe son esprit.
Joseph Ponthus est tombé amoureux d’une fille de l’île de Houat. Il avait fait des études supérieures de lettres, était devenu éducateur à la mairie de Nanterre auprès d’adolescents difficiles. En 2015, il se marie et vient habiter Lorient. Pour gagner sa vie, ne trouvant rien dans le secteur social, il fait de l’intérim dans une conserverie de poissons et de crustacés, puis dans un abattoir industriel de bovins. Pendant deux ans, il a confié ses histoires à un livre, "À la ligne", dans un texte sans ponctuation aucune, ressemblant à un long poème.
Il y raconte l’usine, "la charge de travail parfaitement calculée", les odeurs des bulots, les carcasses de vache suspendues à des rails qu’il faut pousser dans les frigos, le froid, le travail à la chaîne et les cadences "au rythme implacable d’un bête par minute", le sang et la graisse, les chefs, les collègues et leur solidarité, le bruit, la fatigue et le corps "qui commence doucement à être ravagé".
Il n’est pas à l’usine pour les besoins d’une enquête mais parce qu’il a besoin de travailler, "je n’y vais pas pour écrire mais pour gagner des sous". Quand on le lit, on comprend qu’il écrit aussi pour tenir, pour ne pas sombrer, pour ne pas succomber à la violence de l’usine. Il écrit ce qui se passe dans sa tête, il parle de Trenet "sans les chansons duquel [il] n’aurait pas tenu", "de son épouse endormie [qu’il] n’osera réveiller" en rentrant de l’usine, des "entraides ouvrières" et de "la condition ouvrière" , des écrivains et des poètes.
À l’usine, le travail répétitif laisse le temps de penser : "Ma vie n’aurait jamais été la même sans la psychanalyse / Ma vie ne sera plus jamais la même depuis l’usine / L’usine est un divan".
Le capitalisme industriel a réussi à édulcorer le vocabulaire ouvrier en remplaçant chaîne par ligne de production, ouvrier par opérateur, contremaître par chef… Mais sans jamais théoriser, Joseph Ponthus montre que la condition ouvrière existe réellement.

Ce premier roman est un livre fort, poignant, qu’on ne peut oublier pas une fois qu’on l’a refermé. Une écriture originale très maîtrisée. Un bel et émouvant hommage à tous ceux que cachent les murs des usines à tel point qu’on pourrait les oublier.